Résumé
Plus qu'un documentaire sur l'écrivain suisse, Ursula Meier réalise un film où la disparition est à l'œuvre. Entre une voix off aux souvenirs imprécis, des témoignages qui tâtonnent, des lieux qui disparaissent, c'est finalement l'expérience même de la lecture de l'écrivain qui se dévoile.
Avis
Une voix d’homme vieillie et ironique parcourt des bribes de récit, fragments d’un journal intime, monologue existentiel qui cherche à établir l’éventualité d’une présence, l’évidence de quelqu’un. Enfin, un lieu d’interrogatoire, sorte d’inquisitoire composé d’une table et d’une chaise et où, sous le halo jaune d’une lampe, des hommes et des femmes témoignent à tour de rôle d’une disparition, celle d’un écrivain dont le souvenir s’apparente à l’émergence d’un fantôme. De ces témoignages contradictoires, de ces hésitations de la mémoire, seule la silhouette brouillée de Robert Pinget apparaît. Homme solitaire, romancier hanté par le secret et les pièges de la vérité, ayant vécu loin des humains, Robert Pinget semble, à l’image de ses personnages, insaisissable à la définition. Aujourd’hui caché, enfoui sous le bourdonnement acide de ses livres, l’homme se confond avec sa démarche littéraire, une façon de vivre devenue un souci d’écriture, une écriture devenue une nécessité de vivre et qui est avant tout un style, une volonté d’appréhender un contour, une forme dont le fond s’efface, se dilue, échappe. Et si l’on s’arrête aux lieux de ses romans, si l’on prend le risque de visiter la ferme où il a vécu, si l’on regarde derrière ces portes entrebaillées, au-delà de ces fenêtres entrouvertes, on découvre alors une absence, un effet de disparition qui est au centre de son œuvre. C’est ce phénomène particulier qu’Ursula Meier réussit à nous faire ressentir. Et il est rare de trouver une telle adéquation entre une expérience romanesque, l’engagement qui la sous-tend et l’écriture cinématographique qui veut en rendre compte. Véritable hommage à l’art de Robert Pinget, le film d’Ursula Meier trouve, dès le premier plan, une esthétique qui est comme l’écho du style de l’écrivain. Pour ce faire, elle parle directement à notre imaginaire et joue de ce que les images suggèrent et dévoilent. En recréant et en traitant par le flou documents, archives, extraits de films, elle trouve l’équivalent visuel et sonore de ce que les mots de l’écrivain appellent. En s’inspirant des structures narratives de son œuvre, elle fait surgir la vie de l’homme, cernant ainsi au plus près l’intangible de sa réalité.