Résumé
Réflexion sur les images, matérielles et psychiques, 'La part de l'ombre' est un film en voie de disparition, un objet non identifié qui vient travailler nos peurs et nos fantasmes.
Avis
La part de l’ombre. Un titre et déjà des images surgissent, qui évoquent l’inconscient, le secret, les contes peuplés d’ogres de notre enfance, les désastres de l’histoire. 'Film en voie de disparition'. Un sous-titre et déjà nous comprenons que le film doit être regardé comme un objet, une peau de chagrin, ou bien peut-être comme un être vivant, on ne sait plus, et n’est-ce pas là justement tout l’intérêt de la chose, se perdre. Se perdre dans les méandres d’une sombre histoire, celle du photographe hongrois Oskar Benedek qui, le jour de l’exposition de son œuvre à la galerie Hantaï en 1944, aurait disparu pour ne plus jamais réapparaître. Disparaître, comme disparaîtront aussi les photos d’enfants mutilés qu’il aurait prises dans un hôpital dirigé par l’effrayant docteur Klein, monstre méphistophélique réfugié en Suisse avant d’être assassiné. Disparaître enfin comme les sujets du photographe devenus ombres, fantômes, aspirés par le processus photographique qui tendrait à les immortaliser mais qui, ici, les dépouille de leur matière, de leur essence. Olivier Smolders met en scène - et en pièces - cette histoire qui se prête à une infinité de combinaisons possibles dans lesquelles le public dérive au cœur du processus de l’élaboration imaginaire. Avec son accumulation d’images surréalistes, érotiques, chirurgicales, naturalistes, 'La part de l’ombre' est une expérience cinématographique qui se joue de toutes les frontières, un joyau aux puissants reflets noirs. Dans ce théâtre de la cruauté en forme d’enquête et de conte fantastique dans lequel s’emboîtent les pièces d’un puzzle complexe, tout est de l’ordre (ou du désordre) de l’interprétation et de la création. Olivier Smolders poursuit ainsi sa quête du film-objet. Après un film "pour amuser les chaises", un autre "en forme de poire" ou encore un film "immobile", ce film "en voie de disparition" nous rappelle que tout n’est qu’illusion emboîtée dans un rectangle, qu’il soit photographique, pictural ou filmique. Mais qu’est-ce que la réalité sinon une illusion donnée par les sens ? Qu’est-elle, en effet, sinon l’histoire que l’on s’invente ?